«Le printemps, chez nous, ne dure pas» , ainsi commençait Mammeri La Colline oubliée, roman d’une flamboyante beauté qui signa son entrée sensationnelle en littérature. Celui-ci est une peinture saisissante de ce qu’a été la vie de la société algérienne à deux ans près de la Guerre qui secouera, sept longues années durant, le pays. La publication de La Colline oubliée, en 1952, a été couronnée de succès mais aussi a provoqué beaucoup de remous. Autant l’oeuvre romanesque suscita l’admiration des esprits de «haute volée» et des contemporains lucides qui l’ont accueillie et saluée comme un chef-d’oeuvre de réalisme savamment élaboré, autant elle indigna ceux qui baignaient dans l’étroitesse et la confusion de leur chauvinisme plus ou moins bon aloi. Tout cela avait accéléré l’ascension de Mammeri au rang de ceux qu’on appellera plus tard les pères des lettres algériennes, ou la génération 52, ces géants immortels de ce côté-ci de la Méditerranée. Depuis, il n’a cessé, et jusqu’à ce que ce maudit «arbre» décide de le ravir au monde des lettres et aux siens, de donner le meilleur de lui-même, les tréfonds de son âme, et de le partager généreusement avec ses contemporains. Le succès de ce premier roman, le prix des Quatres jurés notamment qui salua La Colline oubliée à sa sortie et qu’il avait d’ailleurs refusé d’aller recevoir, lui valut une certaine animosité dans le cercle de l’intelligentia de l’époque, laquelle se voulait particulièrement méchante des patriotards : «Exotisme», «folklorisme», «régionalisme», «acculturation», tous les vocables des «Donneurs de leçons» !
à propos des Donneurs de leçons est d’ailleurs un texte fort précieux qui témoigne judicieusement de la grandeur de l’homme et de la justesse de son propos, surtout à l’encontre de tous ses chasseurs de lumière qui préfèrent à l’honnêteté intellectuelle et au devoir de vérité l’accoutrement et la «pratique des slogans». Sinon comment expliquer qu’une oeuvre tournée vers la postérité, traitant des plus chaudes questions de l’heure, s’étalant sur une période d’une quarantaine d’années, composée d’une floraison de récits en tous genres, d’études de vulgarisation scientifique d’une profonde rigueur, de traductions des trésors culturels de notre oralité millénaire, soit à ce point occultée et ignorée dans son territoire même ?
Présent sur tous les fronts d’écriture, Mammeri a produit, en effet, quantité d’ouvrages savants qu’on a baptisé Tamusni (terme qui signifie littéralement érudition) : Enquêtes linguistiques avec l’acuité des encyclopédistes, études anthropologiques dignes des spécialistes de la discipline, traductions de contes de terroir et d’anciens poèmes avec une beauté et une originalité extrêmes, nouvelles satiriques qui chatouillent les coeurs et soulèvent le voile qui couvre les âmes, romans émouvents et boulversants à force de réalisme et de style fin… Un même siècle n’enfante que quelques-uns de ces êtres de génie qui éduquent l’esprit par leurs écrits en donnant libre cours, pour s’élever, au coeur humain.
Parce qu’on ne peut traiter ici toutes les facettes d’une oeuvre aussi prodigieuse, sur l’entendement et l’enchantement de laquelle on a tout intérêt à y revenir à chaque fois, et parce qu’aussi il s’agit plus de rendre hommage à l’un des plus attachants de nos écrivains et de le (re)donner à lire qu’à lancer une fouille profonde de l’un de ses ouvrages, on se contente de présenter succinctement ses quatre grands romans, La Colline oubliée, Le Sommeil du juste, L’Opium et le bâton et La Traversée. Il n’y a rien de plus à propos pour un écrivain que de revenir sur son oeuvre en dehors de toute polémique biaisée. Seule compte dans une oeuvre de fiction l’exigence que la beauté du texte soit tirée de l’authenticité et de l’intensité du «vécu» de l’auteur. Le reste est littérature !
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