Tout a commencé sur la place du village un matin de 1940. La guerre faisait rage et les autochtones n’arrivaient pas à trouver une explication logique pour ce phénomène. Slimane, le frère d’Arezki, donne une explication schématisée et illustrée, pour qu’elle soit facilement appréhendée, par l’argument des dominos : «Cette guerre est la providence des malheureux. Quand tout brûlera, quand tout sera détruit […] la terre de nouveau sera vierge. Tout sera remis en question. Ce sera comme aux dominos : on fera une distribution nouvelle.» Arezki, le personnage principal du roman, manifeste son mécontentement, et dévoile sa pensée devant tout le monde, pensée qui, d’ailleurs, n’est pas la bien venue suite à son blasphème : «Je me moque du diable et de Dieu». Le Péché Originel est commis. Tout de suite après, le Père chassa Arezki avec des coups de fusil qui l’avaient emmené loin du village, à Tasga, chez sa tante. Depuis Arezki n’est pas revenu. C’était pour lui la délivrance. Il a laissé son village et sa famille dans des conflits parfois ancestraux, d’autres fois familiaux. Livrée à une faim biologique plus qu’intellectuelle, le père ne pouvait plus tolérer la hauteur de son frère Toudert au point où il songea à lui ôter la vie pour que tout son héritage lui soit légué. Machiavélique pensée, justifiée par la misère qui s’abattait sur sa famille des générations durant. Toute la première partie du roman est centrée sur l’axe du père, de son frère Toudert, de ces deux familles et de l’organisation sociale du village sous le patronat de l’administration française «omni absente». Nous ne pouvons omettre l’intitulé de la première partie «le père» sans pour autant souligner sa symbolique littéraire. Le père est le tuteur d’Arezki des Ait-Wandlous. Mais ni son nom ni son prénom ne sont cités. Dans tout le récit, on trouve uniquement «le père». C’est comme si l’auteur voulait garder le personnage avec toute sa symbolique. On ne peut le héler que par: père ! Tout le monde a un nom : Toudert le frère, l’amin d’Ighzer qu’est Raveh ou Hamlet et autres, mais pas le père. Celui-ci garde, de ce fait, tout son secret, inconnu comme il est, et ainsi un fossé fût creusé entre lui et le monde qui l’entoure y compris avec sa famille. On ne peut s’expliquer avec/devant lui qu’en bref. Et si débat il y a, comme par hasard (chose qui demeure jusque là inouïe), des résultats inattendus et imprévisibles voire pires et peut-être même mortels (le coup de fusil) sont à prendre sérieusement en considération. La deuxième partie intitulée «le fils»- intitulé toujours par rapport au père- raconte ce monde nouveau dans lequel Sliman s’est jeté en amenant avec lui sa théorie de dominos. Ni lui ni sa théorie ne pouvaient rendre ce nouveau monde accueillant : «Les voitures allaient vite, les hommes étaient pressées, leurs gestes décisifs, rapides et comme arrêtés dans leur course, leur parole trop intarissable pour qu’elle fut toute vraie, leur air terriblement fatigué et toujours inquiet…on n’en voyait que peu marcher pieds nus (encore ceux-là étaient-ils visiblement des mendiants)» .Lounes, compagnon passage, lui était comme un don du Ciel. Il hait les colons chez qui il travaillait : «(…) Elle n’est pas grasse, ma carcasse, disait-il à Sliman, mais elle tient et elle tiendra longtemps pour faire crever tous les patrons ». «(…) de temps à autre Lounes disparaissait la nuit ; il ne disait pas où il allait, mais il revenait toujours». Si cette phrase témoigne de l’engagement clandestin de Lounes, elle transmet aussi l’inquiétude de Sliman à l’égard de son ami absent : «Mais il revenait toujours» , c’est comme s’il craignait souvent que quelque malheur lui arrive un jour. Les liens de famille et l’honneur kabyle obligent Slimane à regagner son village natal. Mélancolique, Sliman est donc de retour. Mais avant qu’il arrive au village et ce, dès à la première lueur qui se dégageait derrière les montagnes : Yakout des Aït-Hamlet, la bien-aimée, est promise pour quelqu’un d’autre. Peu importe qui est-ce, mais elle n’est pas lui. Sa promise est désormais Yakout la laide, Yakout la fille du cousin Toudert «qui a rendu l’honneur de notre famille», justifiait le père. «Le prétexte ordinaire de ceux qui font le malheur des autres est qu’ils veulent leur bien», écrivait Vauvenargues dans Réflexions et Maximes. Sliman devrait se marier sans donner aucunement son aval et sans amour aucun à sa cousine. Somme toute, c’est juste parce que le père craint que Toudert, devenu l’amin d’Ighzer, écrase ses enfants et les enfants de ses enfants. Une deuxième situation bloquée et qui cherche une issue. Le comble du malheur pour Sliman est que Lounes n’est plus là pour lui venir en aide. Que ferait-il s’il était là ? Pourrait-il convaincre tout le monde et dire que le mariage est a priori amour avant qu’il ne soit intérêt ? La troisième partie, la plus profonde et la plus engagée est celle intitulée : «l’Ange». Allusion faite à Arezki, la figure centrale du récit. Ce jeune homme au corps frêle comme une fille, au visage rosâtre comme ses idées, est sur le seuil de s’engager dans l’armée française pour combattre le fascisme allemand et pour défendre la démocratie. Autant d’idées, d’idéaux et de pensées gisent au fond de ce petit corps chassé par un coup de fusil «providentiel» à/de Ighzer. «à moi le large», s’enthousiasmint Arezki avant son départ. Pas question de partir avant de voir M. Poiré, le professeur de philosophie à l’Ecole normale supérieure, qui considérait Arezki et Meddour comme «ses disciples» et non pas comme ses élèves. Lue comme une aliénation, voire une acculturation à outrance, la troisième partie présente l’Aroumi -comme le qualifiait Slimane- tout près du but : combattre les ennemis de la démocratie et libérer son pays (la France) du joug colonial. Sa vie, avoue-t-il à son ami Meddour ainsi qu’à son maître, n’a commencé qu’avec la rencontre de ce dernier à l’Ecole Normale. Une lettre de dévouement à l’encontre du maître, et l’attitude de ce dernier vis-à-vis la guerre mais aussi ses disciples, le journal intime d’Arezki écrit au front, sont autant de choses qui méritent toute l’attention des lecteurs et des profanateurs. (Lire la lettre d’Arezki en annexe).
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