Telle une grâce, Anouar Benmalek, dans son récit Tu ne mourras plus demain, nous livre un message de tendresse, d’amour et d’intelligence qui le lie fortement à sa mère…
L’écrivain Anouar Benmalek, confirmé par tant de titres d’ouvrages qu’il a écrits, est d’une stature incomparable. Son récit, Tu ne mourras plus demain, paru chez Fayard et Casbah, aurait pu être écrit par une encre trempée de pathos et d’empathie. Bien au contraire, le poids du départ tragique d’un être cher, sa mère, où amour fort pour sa génitrice et regret profond s’entremêlent dans ce récit qui vous noue la gorge (…)
L’ivrEscQ : Au commencement du livre, on se dit encore la mort qui pointe son dard, mais au fil de la lecture, on s’aperçoit que l’écriture est, au contraire, apaisante, attendrissante où l’amour est maître mot…
Anouar Benmalek : Ma mère est morte depuis un an. Avant cette perte douloureuse, jamais je n’aurais pensé écrire quelque chose de personnel, moi qui suis habitué à la fiction. Ce livre-là est trop près de la réalité, je comble quelque chose que j’ignore. Probablement le regret immense de n’avoir pas tout dit à ma mère ce que j’aurais dû lui dire de son vivant. Je me rappelle de ce qu’elle me disait : «N’oublie pas ya oulidi de m’appeler.» Et moi, bien évidemment, j’oubliais ce détail qui est ô combien vital, aujourd’hui. Le plus étrange est que, lorsque ma mère était vivante, la vie semblait banale ; et maintenant qu’elle ne l’est plus, les affres de ce manque sont un véritable supplice.
L. : Ce récit poignant nous enseigne la pensée limitée, mortelle, révoltée…
A.B. : Oui, en effet, le plus dur pour moi est que je n’ai pas trop dit à ma mère combien je l’aimais. J’étais égoïste. Je m’oubliais. On pense qu’on a l’éternité pour dire tout cela ; et c’est là où parfois la vie est odieuse, elle nous arrache un être cher au moment où on s’y attend le moins. Nous sommes les seuls êtres vivants conscients que nous mourrons tous un jour, mais nous ne pensons même pas couver d’amour ceux que nous aimons. Vous savez, de son vivant, ma mère me racontait que lorsque nous dormions, mon père venait nous regarder, mais il ne nous avait jamais dit qu’il nous aimait, son amour était sans mot. Cette pudeur est étrange dans notre société dans laquelle les relations mère/fils ou père/enfant sont empreintes de raideur.
L. : D’ailleurs, il y a aussi la présence de la grand-mère…
A.B. : Oh oui, ma grand-mère est un être exceptionnel aussi ! Elle était trapéziste suisse ; donc elle épouse mon grand-père marocain qui, lui-même, est fils d’une esclave mauritanienne. À l’époque, un couple arabo-européen est rejeté des deux côtés. Ma grand-mère est, dès le départ, la malvenue d’autant plus qu’elle travaillait dans un cirque. Elle a beaucoup souffert de cette intolérance. Fatalement, elle allait se retrouver seule avec ses deux enfants, ma mère et mon oncle, sur les bras et une relation avec son mari qui allait inévitablement rompre. En fait, ce sont ces moments durs que je raconte, surtout qu’en ces temps-là, c’était la Seconde Guerre mondiale, mais, en définitive, c’est fécond ce brassage de cultures pour moi, en tant qu’écrivain.
L. : Vos romans sont puissants, on peut citer en l’occurrence Le rapt ou Ô Maria…
A.B. : Nul ne peut laisser passer sous silence les crimes du colonialisme, de même que nul ne peut taire les crimes commis par les nôtres. Les crimes de Melouza, comme je l’écris dans Le Rapt, reviennent, car c’est un devoir de mémoire, après la guerre, de dire les faits comme ils se sont déroulés, pour les victimes. La vérité est complexe, elle n’est pas équivoque, nous devons la donner. L’Algérie n’est pas composée de héros ou de traîtres, c’est beaucoup plus complexe que cela. Le temps est passé, nul n’est dupe, nous devons dire les faits avec beaucoup de maturité, le mensonge est comme la charogne. Si on le laisse nous gagner, c’est le pourrissement.
L. : En définitive, ce récit est écrit sur le départ tragique de votre mère, mais beaucoup d’éléments qui vous inquiètent gravitent autour…
A.B. : Vous savez, lorsque vous perdez un être cher, vous vous questionnez : qu’est-ce que je fais sur cette terre, puisque la mort est indissociable de cette parcelle de temps que nous vivons ? Evidemment, vous faites un bilan personnel sur votre mère, votre père, qu’avaient-ils vécu de leur vivant dans une société difficile ? Ils s’étaient battus pour une société plus libre, alors que cette société n’a pas été à la hauteur de leur espérance ni de celle des gens de leur génération. Donc, ce questionnement presque métaphysique d’une vie qui se termine inéluctablement par la mort nous interroge sur la société que nous offrons à nos enfants (…)
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