Interview réalisée par l’émission MAG –radio Alger chaine III avec Nadia Sebkhi (auteure de l’essai « Assia Djebar, Sur les traces d’une femme engagée ».
E. MAG : Aujourd’hui, 6 février 2022, sept ans après la disparition de Assia Djebar, qu’évoque pour vous la romancière en ce jour, vous, auteure de l’essai « Assia Djebar, Sur les traces d’une femme engagée » ?
Nadia Sebkhi : Je rappelle que Assia Djebar, romancière, cinéaste, journaliste est une auteure des plus importantes du XXIe siècle (1936-2015) avec une œuvre importante (1957-2007). Dans mon essai « Assia Djebar, Sur les traces d’une femme engagée », je tente de zoomer les 5 décennies de l’écriture. Il y a à comprendre et s’inspirer d’une plume. Un talent. Il suffit de lire « L’amour, la fantasia », « Nulle part dans la maison de mon père », « Le blanc de l’Algérie », etc. pour déceler la décence, l’élégance, l’obsession, et surtout l’émancipation dans sa quête de l’écriture. Elle-même dira, je cite dans L’amour, la fantasia : « Ecrire en langue étrangère, hors de l’oralité des deux langues de ma région natale –le berbère des montagnes du Dahra et l’arabe de ma ville–, écrire m’a ramenée aux cris des femmes sourdement révoltées de mon enfance, à ma seule origine. Ecrire ne tue pas la voix, mais la réveille, surtout pour ressusciter tant de sœurs disparues« .
E. MAG : Assia Djebar est connue à l’étranger aussi…
N. S. : Evoquer Assia Djebar, c’est porter un intérêt sur tout un monde qui bouge. La littérature mondiale veut qu’à chaque fois qu’une voix émerge d’une contrée, d’une géographie, on s’intéresse à cette voix et ce qui va avec. Il y a moult exemple à donner, à l’exemple de l’écrivain tanzanien nobélisé de 2021, ABULRAZAK GURNAH. Grâce à la consécration d’un écrivain quelque peu, peu connu, on s’intéresse à la Tanzanie. Il suffit de voyager pour voir ses livres ici et là. Une découverte de sa contrée. Une révélation d’un ton. D’une contrée. En fait, un écrivain interroge la vie, le temps, les lieux et ce qui anime la vie. Assia Djebar est la voix de l’Algérie de 1957, date de son premier roman à 2015, date de sa disparition où elle est enterrée dans sa terre qui lui est si chère, à son lieu, Cherchell. Elle, qui a écrit « Nulle part dans la maison de mon père ». Elle est nulle part dans la maison de son père, et a ce rapport à la terre presque, j’ai envie de dire, profond, passionnel.
En fait, je cite un prix nobel, à bon escient, car Assia Djebar était plusieurs fois citée parmi les écrivains consacrés au nobel, notamment en 2008 ou en 2012 lorsque le prix a été décerné au poète suédois Tomas Tranströmer. La presse mondiale en témoigne de l’évocation de Assia Djebar, de surcroit en cette même année 2012, les éditions Le Seuil publie « Les enfants du nouveau monde », paru en 1962 quelque mois avant l’indépendance de l’Algérie.
In fine l’œuvre et la cause littéraire de la romancière nous rappelle celle de la romancière américaine TONI MORRISON qui creuse dans l’identité de l’Afro-Américaine, ou celle Nadine Gordimer, la sud-africaine, femme blanche qui défend les opprimés Noirs, toutes deux primées du Nobel comme on peut citer d’autres. Assia Djebar a toute sa place parmi ses auteures. De surcroit son sujet puise est un kaléidoscope de plusieurs facettes concernant la femme, par excellence : Femme-patrie, Femme-mère, Femme-étrangère, Femme-silence, Femme-aïeule, Femme-corps en transe, Femme-liberté, Femme-voilement, Femme-dévoilement, Femme-Histoire… il y a cette rigueur et exigence qui ressort de son travail. Son œuvre demeure la voix des femmes battantes ou effacées, rebelles ou soumises, gardiennes des traditions ou libérées. Elle n’a pas cessé, en fait, de nous interpeller !
E. MAG : En fait, au fil du temps, les souvenirs rejaillissent et font surface dans la fonction de l’écriture…
N. S. : En effet, au fil du temps, les souvenirs rejaillissent et font surface dans la fonction de l’écriture, comme vous dites, ou même du cinéma. D’ailleurs la romancière-réalisatrice sait que le pouvoir de la caméra convoque et perturbe le repos des ancêtres, comme elle montre dans la troisième partie de Vaste est la prison ou encore dans « La Zerda, ou les chants de l’oubli» récompensé au festival de Berlin de 1983. Assia Djebar ressort l’amour, le corps. Ce corps langage de l’âme, de l’esprit et des sens. Elle tarde sur le mouvement rythmés ou saccadés du corps par la danse.
E. MAG : Assia Djebar avait plusieurs casquettes en plus de ses écrits…
N. S. : Effectivement l’écrivaine avait plusieurs casquettes en tant que préfacière de Nawel Saadawi « Ferdaous, une voix en enfer » ou la préface du « Dictionnaire des mots français d’origine arabe » de Salah Guemriche. Elle était passionnée de la « culture picturale » aussi comme on le perçoit dans « Les Femmes d’Alger dans leur appartement » clin d’œil à Eugène de la Croix. Elle écrit un magnifique texte sur Baya paru dans le Nouvel Observateur (Paris), en janvier 1985. Texte méconnu. (Il est publié dans le magazine « L’ivrEscQ », un spécial numéro consacré à Assia Djebar.
E. MAG : Un mot de la fin…
N. S. : En conclusion : J’aime bien lorsque l’écrivaine emprunte la parenthèse de Kateb Yacine « Hâtez-vous de mourir, après vous parlerez en ancêtre… ». Aujourd’hui, sept ans après sa disparition, étrangement ses livres, ses textes, ses articles, ses films nous parlent en aïeule, en ancêtres. Elle a laissé derrière elle un legs ; puisque la bibliothèque de Tipaza, où Camus la stèle de Camus n’est pas loin, est baptisée Assia Djebar en 2018, nous souhaitons que ce lieu, soit un lieu des débats littéraires, des signatures digne de ce nom. Une autre bibliothèque à Paris porte son nom.
Il y a aussi Le grand prix littéraire algérien portant son nom depuis 2015 récompensant des romans publiés en Algérie dans les 3 langues amazigh, en arabe et en français. Espérant que ce prix littéraire résiste et puisse revoir le jour pour le nom qu’il porte et pour la force qu’il a instillé à notre littérature algérienne contemporaine. Il y a des thèses sur Assia Djebar par des chercheurs en Algérie et un peu partout dans le monde comme en Egypte ou ailleurs en USA, que j’ai rencontrés. Une voix de femme de l’Algérie. Une voix de femme prônant l’universalisme que son âme repose en paix auprès de tous ceux qu’elle a évoqué dans son ouvrage « Le Blanc de l’Algérie ».
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