Poète que nous rencontrons à travers un seul recueil, Après la main, publié en 20151, même si tout permet de supposer que les textes ont été écrits à divers moments. Poète avec lequel il aurait fallu dialoguer bien avant qu’il ne disparaisse, ce qui nous laisse le remords de ne pas l’avoir fait, et une seule excuse : son extrême discrétion, et la très grande modestie qui le poussait à se mettre au service des autres, plutôt que de parler avec sa propre voix. C’est à la fois une douleur et une joie que de vouloir le rencontrer dans l’une de ses oeuvres personnelles, dont il faut dire d’emblée (mais on s’en serait douté) qu’elle n’est nullement un appel lyrique à la sympathie du lecteur ni à sa compassion. De cette poésie exigeante, on s’approchera avec beaucoup d’ignorance voire d’incompétence, pour en appeler à la parole de ceux qui l’ont connu plus intimement et dès l’origine de son parcours : puisque, quoique bien tardivement, il a pris l’initiative de parler en son propre nom, comment feindre de ne pas entendre sa voix, comment se dérober à un dialogue qu’il n’osait solliciter directement mais dont tout porte à croire que comme tout créateur il le souhaitant ? Il faut avoir l’humilité de dire au moins un peu ce que nous découvrons de cet Hamid qui apparaît dans la seconde partie du volume3 dont le titre global est de lui : La profonde terre du verbe aimer.
Et d’abord à propos de ces quelques mots : ils composent la moitié dumaître vers français, l’alexandrin , en sorte que dès l’abord, une scansion poétique est donnée, que la suite ne nous permettra jamais d’oublier. Pour commencer par le plus explicite (mais non pas ce qui apparaît dès le début du volume4, il semble que pour Hamid, la «profonde terre» de son pays soit celle de sa préhistoire, qu’il retrouve principalement dans le Hoggar, mot courant auquel il préfère celui d’Ahaggar, véritable conservatoire d’une géographie et de moeurs auxquelles il fait plus que des allusions, comme s’il éprouvait un réel bonheur à employer les mots précis qui désignent l’une et les autres. Dans le poème intitulé «Algérie», il retient de son pays les regs et les hamadas,toute espèce de plateaux rocailleux qui sont les parties montagneuses du désert et qui ont été dépouillés—on serait tenté de dire décharnés—de toute surface pour ne garder que la «profonde terre». On pense à certains poèmes de Malek Alloula , lui aussi fasciné par l’austèredénuement de cette géographie.Pour ce qui est des moeurs propres aux Touaregs, il les évoque dansun poème dédié à ses amis Tahar Djaout et Hamid Tibouchi, qu’il s’agisse de la Sébiba, fête touareg vieille de trois mille ans ou de l’Imzad, vielle à une corde jouée par les femmes, ce qui pourrait être lié à la persistance sinon d’un matriarcat, du moins de la place éminente des femmes dans cette très ancienne civilisation. On hésite pourtant à parler d’archaïsme car le mot est connoté, désignant une attitude conservatrice sinon réactionnaire. Tout autre est le rapport de ce poète au temps; manifestement il souhaite se situer en dehors ou ailleurs, et pas du tout dans la conception dominante de la poésie occidentale qui bien avant les déploiements romantiques de ce thème ne cesse de l’évoquer et d’en faire le rapport au monde essentiel pour tout être humain.
Une des recherches principales de Nacer-Khodja, en matière de poésie, semble être d’atteindre— et ce mot peu courant se trouve dans son dernier poème —l’antécambrien, dont on sait qu’il désigne la première période de l’histoire de la terre, avant même l’ère primaire qui est la première de celles qu’on tente d’intégrer dans une chronologie. En sorte qu’il y avait déjà la terre et l’eau mais certainement pas l’homme sous aucune forme, et quelle terre sinon l’absolue nudité de l’erg ? Dans la préhistoire selon Hamid, l’homme apparaît évidemment, mais dans le poème intitulé «Ternifine» on voit son intérêt pour une variété d’homme bien antérieure à l’homo sapiens, homme par ailleurs d’une variété typiquement locale, ce nom propre désignant un site acheuléen proche de Mascara, où l’on a trouvé beaucoup d’ossements humains et notamment de très robustes mâchoires.
Cependant il ne s’agit pas pour le poète d’établir une chronologie comme le font les spécialistes de la préhistoire, mais plutôt de relier entre eux par le fil des vers quelques mots rares et choisis comme le nom de Tin Hinan qu’on trouve aussi dans «Ternifine», pour signifier le moment où sans doute on approche de l’écriture. Telle est aussi la manière dont Assia Djebar a évoquée cette reine mystérieuse.
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