En matière d’Orient, François Maspero qui vient de disparaître avait de qui tenir. Il appartenait en effet à une de ces grandes familles de scientifiques français qui ont su transmettre à leurs descendants la passion qu’ils avaient pour les civilisations de l’Orient. Son grand-père Gaston Maspero (18401916) (qu’il n’avait pas connu) a été un égyptologue de renom international qui termina sa carrière au Collège de France à Paris. Gaston Maspero eut trois fils qui se tournèrent vers l’Orient au sens large : René Gaston Georges Maspero (1872-1942) qui fut Gouverneur Général de l’Indochine et un des fondateurs de l’Ecole Française d’Extrême Orient, Jean Maspero (1885-1915), membre comme son père de l’IFAO (Institut Français d’Archéologie Orientale) au Caire, et Henri Maspero, (1883-1945), le père de François, qui fut Professeur de langue et littérature chinoises au Collège de France à Paris (à partir de 1921). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que cet intérêt pour l’Orient au sens large se retrouve dans les engagements éditoriaux et politiques de François Maspero. Ses publications concernant le Maghreb et plus spécialement l’Algérie furent nombreuses. C’est un texte de théâtre algérien militant, celui de Hocine Bouzaher, (Des voix dans la Casbah) immédiatement saisi en France, qui inaugure en 1961 la célèbre collection «Voix» qui publie ensuite un texte de Malek Haddad. Cette collection publie également en 1962 des récits et dessins d’enfants d’Algérie, qui parlent de détresse et de mort, et une étude de Pierre Solignac sur la poésie populaire des Kabyles. François Maspero sera aussi attentif à faire connaître l’œuvre de la famille Amrouche : il publia en 1968 l’histoire (inédite) de la vie de
Fadhma Aïth Mansour Amrouche, mère de Jean et de Marguerite Taos. Celle-ci fournit elle-même deux textes aux éditions : un volume original de contes, poèmes et proverbes kabyles et la réédition de son premier roman épuisé, initialement paru aux éditions Charlot en 1947. François Maspero ne mit malheureusement pas à exécution son projet de publier les autres titres de cette «Moisson de l’exil». Entre 1967 et 1973, la collection «Domaine maghrébin», dirigée par Albert Memmi publia onze titres qui esquissent un vaste panorama des différentes composantes de la culture mahgrébine : roman, théâtre, contes kabyles, poèmes (Si-Mohand), cinéma. Les auteurs avaient noms Rachid Boudjedra, Mouloud Mammeri, Camille Lacoste-Dujardin, Abdelkhabir Khatibi ! La collection
s’ouvrait également à la sociologie, plus précisément en Algérie, avec des études, souvent d’origine universitaire, sur la culture et l’enseignement, sur l’éducation de l’enfant en milieu traditionnel, sur les travailleur algériens en France. Cette simultanéité thématique comme sa présence chez un éditeur non spécialisé en ont fait une collection qui connut une diffusion certaine et reste une référence important en France pour la connaissance de l’Algérie et du Maghreb. Mais ces publications ne sauraient masquer l’importance de l’engagement politique de François Maspero et ses autres publications. Ses positions militantes, notamment liées à la Guerre d’Algérie lui valurent de nombreux démêlés avec la justice qui ont miné périodiquement la santé économique de ses éditions. Il recense ainsi la liste d’une vingtaine de situations subies dans un catalogue de ses éditions, daté de janvier 1973. Plus d’une dizaine sont en rapport avec l’Algérie. Les titres les plus connus sont les deux textes de Franz Fanon : Sociologie d’une révolution, saisi en 1959, 1960, 1961 et Les damnés de la terre, livre saisi dès parution en 1961. Plusieurs titres furent poursuivis pour «incitation de militaires à la désertion», comme celui de Maurice Maschino (Le Refus, saisi en 1961), pour injures envers l’armée ou atteinte à l’intégrité du territoire. Le livre d’André Mandouze, d’abord saisi donna finalement lieu à un non-lieu (La Révolution algérienne par les textes, paru en 1961, immédiatement traduit en italien et réédité augmenté en 1962). Tous ces volumes sont parus dans une collection au titre significatif «Cahiers libres», tout comme le livre de Marcel Péju sur le procès du réseau Jeanson, celui de Paulette Péju sur Les harkis à Paris (1961) ou sa protestation sur Les ratonades à Paris, après la manifestation du 11 octobre 1961, deux ouvrages qui furent aussi saisis. François Maspero publiera dans la même collection le texte des accords d’Evian, des lettres et témoignages (1954-1962) sur le peuple algérien et la guerre. Parmi les autres publications, signalons plus particulièrement le livre de Mostefa Lacheraf, L’Algérie, nation et société, publié en 1965 qui s’attache à «rétablir de l’intérieur», quelques années après l’indépendance, une étude historique et politique des années 1830-1965. Ouverte jusque très tardivement dans la soirée, la librairie «la joie de lire» (quel beau nom pour une librairie !) où il avait son bureau au soussol et qui était située rue saint Séverin en plein cœur du Quartier Latin à Paris fut dans les années 1960-1970, un lieu de passage privilégié (et parfois un lieu de rencontres) de toute l’intelligentsia de gauche ou même d’extrême gauche, française et même étrangère, intellectuels en acte ou en puissance.
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