Lecture de « Simorgh » (nouvelles, essai, Albin Michel, 2003)
Dib, la beauté d’un style par des phrases concises, poétiques, intenses, philosophiques. Plus on rentre dans la trame Dibienne, plus on est dans cette nouvelle dimension d’un voyage initiatique, sans répit, sans strapontin pour souffler au rythme de l’écriture ; bien au contraire, on y revient. « C’est l’écrivain de la précision dans les termes, de la retenue et de la
réflexion. L’air qu’il fait entendre sur son clavecin est une musique intérieure qui parle au cœur. Écrivant en français, sans complexe et assumant sa double culture, l’auteur ne se livre pas purement et simplement au lecteur. Sa création littéraire demande souvent plusieurs lectures pour pénétrer jusqu’au sens. »*
* (Jean Déjeux, dans Hommage à Mohammed Dib, « Kalim », no 6, Office des Publications Universitaires (OPU), Alger, 1985).
A l’ère de la mondialisation définit par Dib de « globalisation » ou « américanisation », l’écrivain zoome sur un monde « surdéveloppé » à contrario l’autre « sous-développé » en questionnant les lieux, les traces des grandes civilisations, les silences, le vent, le ciel par une plus plume ponctuant sur la poésie, la réflexion, la philosophie…
Simorgh, oiseau évoqué dans la ‘’Conférence des oiseaux’’ du mystique iranien Farid Eddine Attar. Réalisation de soi par la transcendance. Ainsi Simorgh, titre de l’œuvre dibienne, par le symbole de cet oiseau, l’écrivain va dans une errance en quête de Soi dans les rouages de l’intemporel. Mais au final pour ne voir que Soi, se mirant dans une glace. A l’intérieur de cette œuvre, l’écrivain a veillé à orienter les lecteurs. Car, quand on y est on ne sait pas où s’accrocher dans le labyrinthe de la réflexion, la philosophie, la poésie, l’errance… le livre se lit en 3 parties avec les intertitres :
1ère partie : Ghost towns blues ; Un couple infernal ; La visiteuse égarée ; Les bocages du sens (I).
2ème partie : Comment la parole vient aux enfants ; Mondialisation, globalisation, mais encore ?; Le guide ; Incertaine enfance ; La couleur pire ; Phénix fainéant dans seize postures ; Opéra bouffe ; Mon clone si je meurs ; Mouna ; Les bocages du sens (II)
3ème partie : Deux grecs. Le dire-vrai du non-dit. Fin de sens. L’élévation d’Œudipe ; Papadiamantis.
Il y a ce regard d’amour de cette partie d’Ifriqia, Numidie… « Et, pas à pas, je poursuis mon chemin, j’arpente la cité latine, battue de tant de soleil, tant de vent, tant de silence. Ce que je la sens porter en son cœur se dilate et répartit sur toute ma vie… » (p.30) Ainsi, le ton, le son, la partition sont donnés pour marquer ce silence intemporel.
Il y a de l’humour, de la dérision, de la légèreté, de l’errance parfois dans un calice de l’intensité : « Le poème est notre miroir, quand nous le désirons. Mais miroir obscur, comme il se doit, pour des êtres obscurs dont nous sommes et dont nous ne portons le masque que pour être vus. » (p.22).
«Je me chante une petite chanson, peut-être que ça me fera oublier l’exil, et ce tas de merdes dessus quoi je marche :
Pigeonnes au teint blanc
De jeunes filles, plaise
Impudentes qui vous pavanez
Dans la cour des mosquées ;
Anes des rues trottinant
Avec vos coupures à vif si
Savoureuses à lécher, plaise
Qu’est-il de moi advenu ? (p. 63)
Il ponctue par des noms de grandes références à l’exemple de Nietzsche qu’il cite dans Simorgh (p. 80-81) : « Ce propos de Nietzsche. Il aurait pu servir d’exergue au texte ci-avant intitulé ‘’Un couple infernal’’ : « L’amour d’un seul être est chose barbare, car il s’exerce au détriment de tous les autres. L’amour de Dieu aussi.» (Par-delà le bien et le mal, Maximes et interludes, n°67).
« Mais ne pourrait-on pas aussi, par soi-même, s’aventurer à penser telles choses, et bien d’autres, sans avoir à se mettre toujours sous la protection d’un saint patron ? »
Ou encore «Si ton chant n’est pas plus beau que le silence, tais-toi. Proverbe arabe.» (p.75)
Et puis il y a ce plaisir des réflexions ou maximes parsemées le long de l’ouvrage, un souffle à la houle du texte :
« Inventez-vous un ennemi, et vous vous paierez le luxe de vous attaquer à l’humanité entière. » (p. 73)
« Les ombres que les nuages perdent en route ne font qu’errer sur les champs, errer dans une grande confusion. Nous errons aussi, mais ombres de quels nuages ? Nous
Errons. » (p. 76)
« L’homme n’est qu’une combinaison d’aléatoires qui ne saurait arbitrer un débat, instruire un procès. » (p. 79)
« L’homme est né d’un protoplasma dont il ne perd jamais le caractère nébuleux, chaotique. » (p.187)
« Eloge de la lenteur. En me pressant, je mets trois fois plus de temps qu’il n’en faut pour faire quelque chose. » (p.200)
L’enfant-jazz.
Pour attiser l’appétence de Lecture des livres de Mohammed Dib, notre choix de poèmes avec ce regard de l’enfant face au monde in « L’enfant-jazz »
Le mur
On la vit
Cette ombre arriver.
On la vit sur le mur.
Vit l’oiseau sur le mur.
L’oiseau épelait des mots.
L’enfant écouta. Des mots.
Il y en avait pour tout.
Au-dessus un nuage passa.
Le monde manqua de mots.
L’enfant sous un arbre
Puis sous un autre arbre
Restait avec ses oreilles.
Ce qu’on devait savoir.
Ce qu’on ne devait pas.
On n’arrête pas une ombre.
Et maintenant clair
Sur le mur, ce soleil.
Il manquait de mots.
***
Le masque
Il ne fit que l’enlever.
Le masque laissa tomber
Une larme de chaque œil.
L’enfant le déposa, mit
Un doigt sur sa bouche
Et plus de larmes, rien.
Le masque garda le secret.
Il préféra. L’enfant alla
Vers d’autres occupations.
Les œuvres de Mohammed Dib.
La Grande Maison, roman, Le Seuil, 1952 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 225, 1996 – Prix Fénéon, 1953
L’Incendie, roman, Le Seuil, 1954 ; réédition, Seuil, coll. « Points. Roman » no 351, 1989 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 952, 2001
Au café, nouvelles, Gallimard, 1955 ; réédition, Sindbad, 1984
Le Métier à tisser, roman, Le Seuil, 1957 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 937, 2001
Un été africain, roman, Le Seuil, 1959 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 464, 1998
Baba Fekrane, contes pour enfants, La Farandole, 1959
Ombre gardienne, poèmes, Gallimard, 1961 ; rééditions, Sindbad, 1981 et La Différence, 2003
Qui se souvient de la mer, roman, Le Seuil, 1962, rééditions, Seuil, coll. « Points » et La Différence, coll. « Minos », 2007
Cours sur la rive sauvage, roman, Le Seuil, 1964 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 1336, 2005
Le Talisman, nouvelles, Le Seuil, 1966
La Danse du roi, roman, Le Seuil, 1968
Dieu en barbarie, roman, Le Seuil, 1970
Formulaires, poèmes, Le Seuil, 1970
Le Maître de chasse, roman, Le Seuil, 1973 ; réédition, Seuil, coll. « Points » no 425, 1997
L’Histoire du chat qui boude, contes pour enfants, La Farandole, (1974, pour le texte) et Albin Michel Jeunesse, (2003, illustré par Christophe Merlin)
Omneros, poèmes, Le Seuil, 1975
Habel, roman, Le Seuil, 1977, réédition avec une préface de Habib Tengour, coll. « Lire et Relire », Éditions de la Différence, 2012
Feu beau feu, poèmes, Le Seuil, 1979
Mille hourras pour une gueuse, théâtre, Le Seuil, 1980
Les Terrasses d’Orsol, roman, Sindbad, 1985; Paris, La Différence, coll. « Minos », 2002
O vive, poèmes, Sindbad, 1987
Le Sommeil d’Ève, roman, Sindbad, 1989; Paris, La Différence, coll. « Minos », 2003
Neiges de marbre, roman, Sindbad, 1990; Paris, La Différence, coll. « Minos », 2003
Le Désert sans détour, roman, Sindbad, 1992, Paris, La Différence, coll. « Minos », 2006
L’Infante maure, roman, Albin Michel, 1994
Tlemcen ou les Lieux de l’écriture, textes et photos avec Philippe Bordas, La Revue noire, 1994
La Nuit sauvage, nouvelles, Albin Michel, 1995
L’Aube Ismaël, récit poétique, éd. Tassili, Paris 1996
Si Diable veut, roman, Albin Michel, 1998
L’Arbre à dires, nouvelles, essai, Albin Michel, 1998
L’Enfant jazz, poèmes, La Différence, 1998
Le Cœur insulaire, poèmes, La Différence, 2000 – Prix des Découvreurs
Comme un bruit d’abeilles, Albin Michel, 2001
L’Hippopotame qui se croyait vilain, conte, Albin Michel Jeunesse, 2001
L.A. Trip, roman en vers, Paris, La Différence, 2003
Simorgh, nouvelles, essai, Albin Michel, 2003
Laëzza, nouvelles, essai, Albin Michel, 2006.
Consécration.
Mohammed Dib a reçu de nombreuses récompenses pour son oeuvre, notamment le prix Fénéon en 1953 pour son premier roman La Grande maison, le prix René Laporte en 1962 pour le recueil de poésie Ombre gardienne, le prix de l’Association des Écrivains de Langue Française en 1977 pour le roman Habel, et plusieurs prix de l’Académie française pour la poésie ou les romans. En 1994, il reçoit le Grand Prix de la Francophonie décerné par l’Académie française, attribué pour la première fois à un écrivain maghrébin ; en 1998, le prix Mallarmé est attribué à son recueil de poésie L’Enfant jazz et le Grand Prix du Roman de la Ville de Paris à l’ensemble de son œuvre romanesque ; en 2001, le Prix des Découvreurs de la Ville de Boulogne/Mer récompense l’ensemble de son œuvre poétique.
La rédaction
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