Ce bimestre mars-avril coïncide avec la journée de la femme. À la veille des législatives algériennes, la femme demeure absente, muselée, occultée par elle-même de son espace. À croire que le vocable littérature, « cette teinture d’éloquence », ne s’opère plus sur elle. Comme si la femme manifestait peu d’intérêt à cette expression, et jugeait qu’elle ne méritait pas d’être publiée. Ainsi, la femme qui a osé frayer la voie au-delà de toute la rhétorique pour écrire le droit de rêver se serait-elle écartée ? Elle qui revendique l’émancipation en puisant dans le secret des mots telle Al-Khansa qui a marqué les âges par les élégies empreintes de la tragédie à la perte « de ses hommes », se serait-elle retirée ? Pourtant la femme a écrit l’interminable, l’incessant sans pour autant justifier le mot exact. Elle a écrit l’ère du temps par lubie, avec ou sans constance, sans prétendre prendre la parole. Elle a écrit les remous du silence. Un silence bavard qui émeut son existence pour étendre, en outre, l’histoire depuis Eve, notre mère originelle, de son talent d’avoir osé garantir par des motslibérateurs…
En cette célébration du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, L’ivrEscQ consacre cette édition entièrement à la commémoration de l’assassinat de Mouloud Feraoun. Cet immense écrivain épris des mots a mis sa fille, les années 1954, en classe avec les garçons malgré la colère de sa famille, car pour lui l’instruction n’a guère de sexe. Les œuvres de Feraoun démontrent à quel point il aimait écrire, enseigner et absorber le travail de ses contemporains. Son rapport avec les écrivains et sa contribution à la construction de leur espace social, ainsi que sur les facteurs sociopolitiques qui ont joué sur eux. Nous publions dans ce numéro des lettres inédites de Feraoun/ Camus, Roblès/Feraoun et d’autres lettres qui permettent aux communs des lecteurs de comprendre le mérite de Feraoun dans une ère non propice à l’émergence du colonisé. Pourtant, lui qui n’a jamais oublié les siens, a atteint les cimes de la notoriété. Ces lettres permettent d’interpréter d’une façon très détaillée le rôle important qu’avait Feraoun dans la vie d’oppresseurs et d’oppressés. Les chapitres de ses œuvres débattent de plusieurs aspects des liens entre la vie littéraire et l’Algérie coloniale. Les contrastes sont multiples : romancier à succès, il représente à lui seul, les grands phénomènes de la littérature algérienne. Son livre posthume, La Cité des Roses, qui parachève son œuvre approfondit et nous informe au mieux de la complexité du dos-à-dos amour et haine. Lui, qui au commencement de sa carrière d’écrivain dépeint Le fils du pauvre que les éditeurs refusent de publier, tout comme Marcel Proust : l’un et l’autre publient à compte d’auteur, parce que l’un comme l’autre croient en leur chef-d’œuvre. Probablement, foi de croire en soi, selon Jean Racine « La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ? ».
Pourtant le colonialisme lui a fauché définitivement la vie. Mouloud Feraoun n’a pas frissonné au bonheur de l’Algérie souveraine. Le lire article après article dans ce numéro de L’ivrEscQ, c’est découvrir un monument. Sous un pessimisme apparent, ce père fondateur de la littérature maghrébine marque le monde culturel par le mystère et la liberté de ton qu’il incarne. L’œuvre de Feraoun s’attache à explorer les méandres de l’être, de la perception et de l’imaginaire, et contribue ainsi à bouleverser de manière profonde la littérature universelle. Bonne lecture !
Nadia Sebkhi
n.sebkhi@livrescq.com
Une Réponse pour cet article
Témoignage. En 1965, j’étais collégien au CEG « ST. Coud » à ANNABA. J’ai assisté à deux conférences données, la première par KATEB YACINE et la seconde par E.ROBLES. K.Yacine avait traité de « l’œuvre de Camus ». Notre illustre écrivain-poète avait « démonté » par l’analyse, l’œuvre de Camus, pour démontrer que cet auteur né en Algérien, sous la colonisation ne pouvait en aucun cas, être considéré comme ALGÉRIEN; je me souviens encore de termes qu’il a utilisé dans sa conclusion, avant de passer aux débats: »…aussi, le seul respect que je doive à Monsieur CAMUS, c’est le respect que je dois aux morts! »
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