Du premier classeur, la lettre II :
La province ! À mon avis elle ne doit être qu’un terrain d’entraînement, un champ d’expérimentations pour savoir si on est fait ou pas pour la gloire et la grande réussite dans tel ou tel domaine. Mais ceux qui s’y sont piégés, je parle bien des êtres faits pour la gloire, resteront à jamais de minables grincheux ratés. La province te bâtit, t’essaye ensuite te confirme que tu es fait pour le grand monde. Mais en face de cela, elle fait tout pour ne pas te lâcher, pour te piéger dans sa convention monotone est sûre, afin de ne pas te laisser partir. La province te construit mais ne te reconnaît jamais… Mais alors jamais ! Il te faut donc sortir pour la grande ville. » Mais là-bas tu es seul, tu ne connais personne, et tes nouvelles connaissances ne seront jamais tes vrais amis, tu es même complexé face à ces métropolitains ! », voilà ce que te souffle la province à l’oreille et à l’âme quand tu te résous à partir. Et c’est là le grand dilemme. C’est là l’ultime test prouvant que tu as tout le potentiel pour laisser ton empreinte dans le monde, ou pas, et mon compagnon a cédé au leurre de la province. Comme la plupart… ou plutôt, comme la plus fâcheuse majorité des provinciaux qui ont tout pour réussir mais qui ont cédé à la monotonie et l’assurance de la conformité.
Du premier classeur, la lettre II :
La vraie raison n’est autre que ce dont nous avons été nourris pendant notre enfance. Ma réussite, mon échec, ma gloire, ma chute, mon triomphe, ma perte ne se font que par rapport à ce que m’a inculqué mon père, mon maître, ma mère, ma maîtresse, l’imam, la télévision, le journal, les médiats, l’histoire dont nous ne faisons que consommer l’intangibilité non confirmée et dire Amen. Cette histoire qui nous raconte plutôt qu’elle nous informe. Oui, mon cher, personne ne sait les dessous des grands événements historiques qui nous ont été occultés. Toute race vante les mérites de ses aïeux, chaque communauté se vante d’être de racines nobles, même moi je dis que je suis des Chorfa*, les fameux nobles aux quarante chapeaux, mon œil ! Je n’ai que bonnement été regorgé de ces mystifications fâcheuses comme tout pauvre petit esprit d’enfant à qui l’on fait consommer des bêtises. Cessons ces ignominies !
Du premier classeur, la lettre IV :
[…] dans la ville ça sent le bitume, la poussière et la peinture lavable. C’est devenu un grand chantier avec du travail à moitié fait. Tous enjolivent et embellissent car tout le monde se préparent à recevoir Monsieur le président de la république qui viendra border – une troisième fois –, avec sa couette, le peuple endormi qui s’apprête – une troisième fois – à se renverser sur son flanc à même la douce caresse gaufrée de son matelas d’insouciance sur sa vaste couche d’ignorance, en attendant la quatrième et pourquoi pas pire…
Du troisième classeur, la lettre XIII :
Tu aurais dû le voir en train de me décrire ce moment, on s’y sent vraiment. Il me disait qu’il trouvait dommage de déranger un si bel être d’une si douce insouciance, une si belle image d’un si joli tableau onirique pour la confronter à une si amère et si insignifiante réalité, pour la ressusciter du monde du tout est permis au monde du rien n’est permis, du monde de l’évasion au monde des prohibitions. Il finit enfin par se résoudre à tendre d’abord ses doigts vers ses cheveux qu’il a peu caressés, puis du revers de sa main il cajola sa joue toute chaude de l’étreinte si affective du sommeil. « Elle frissonna… C’était tendre, suave, paternel, rassurant. Elle fit un son, un bruit, une sorte de gémissement de plaisir tout en ouvrant ses paupières langoureusement et j’ai eu peur. », me disait-il toujours en tremblotant.
Du dernier classeur, la lettre XXIV :
Dans ma chambre j’avais lu ce que Sarah avait écrit à l’intérieur du chapeau : « Je crois que je t’aime aussi ». C’était comme une condamnation. J’étais heureux mais atterré en même temps. Mais dans le fond, je cherchais la vérité dans ses propos. Mon « Je crois » était une sorte de fierté que je ne pouvais pas rabaisser, du genre ne voulant oser lui dire directement « je t’aime », mais son « Je crois », était presque comme un sursit, comme un non engagement. Ça m’a rappelé bizarrement la fameuse réplique dans Légende d’Automne quand Suzannah dit à Tristan « Mais toute une vie, c’est finalement trop long », après lui avoir promis de l’attendre toute la vie une fois parti à la guerre pour la retrouver mariée à son grand frère. On ne peut même pas appeler ça de la lâcheté. Et peut-on qualifier une femme de lâche ! Impossible, ça sonne faut.
Dernier classeur, la lettre XXVII :
[…] L’arbi les manipulait, à vrai dire. Ils avaient, pour ainsi dire, peur de lui. Et sa dominance principale, au-delà de la menace physique qu’il leur inspirait, était la langue arabe, la langue du Coran. C’est si évident. Ils sont tous francophones dans le groupe sauf lui. Et l’arabe, étant la langue officielle de l’État et l’Islam étant sa seule religion reconnue, il y a cette impérialité axiomatique qui s’instaure vis-à-vis de ceux qui maîtrisent moins la langue suprême. La langue du pouvoir. Je comprends mieux maintenant pourquoi nul n’a osé intervenir après que je lui aie froidement répondu l’autre jour. Au fait, personne n’ose lui parler ainsi, personne n’ose parler quand il parle ni lui faire face quand il y a à redire. Son statut le leur interdit. Leur insuffisance linguistique incombe inexorablement à une honte déficitaire aux deux niveaux les plus sensibles chez l’algérien : Dieu et la Patrie, surtout lorsqu’on ne maîtrise que la langue du colon. Ne pas maîtriser l’arabe classique, c’est manquer quelque peu à son devoir religieux et patriotique. Et L’Arbi utilisait cela. Il était fils d’imam maîtrisant parfaitement l’arabe classique et militant pour le FLN, il avait toutes les qualifications requises pour être le porte-parole ou le secrétaire générale du représentant officiel de Dieu sur la terre sainte de l’Algérie. C’est vrai, H’med.
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