Rencontré en marge du Salon international du livre d’Alger, auquel l’auteure participait à l’occasion de la sortie de son dixième roman, Malika Mokeddem nous confie, sans concession, ses passions, ses indignations et sa venue à l’écriture.
L’ivrEscQ : La désirante, un titre original, on oublierait presque qu’il fait partie de notre vocabulaire…
Malika Mokeddem : Oui, c’est pourtant le féminin de désirant. À partir du moment où Shamsa dit du bateau Vent de sable, je le rebaptiserai bien désirante. Le fait qu’elle l’énonce comme nom de bateau, je trouve que cela lui va tellement bien et j’adore ce titre.
L. : Autre nom chargé de symbolique qui renvoie au soleil, Shamsa ?
M. M. : Elle est solaire, cette femme en dépit de tout ce qu’elle a au fond d’elle et qui aurait pu la plomber. Elle a toujours été insolente et solaire, je crois que cela va ensemble. Le soleil ne se cache pas, elle a un regard aigu sur les choses, elle ne se positionne pas en victime.
L. : La désirante est un roman tout en finesse où il est question d’amour et c’est dans le manque que va se développer cet amour ?
M. M. : Shamsa n’a jamais connu l’amour, elle n’a pas connu ses parents. Le manque et l’absence étaient des notions complètement abstraites pour elle. Quand elle était en Algérie, elle enquêtait essentiellement sur des disparitions pour pouvoir approcher, scruter le regard des mères, des épouses, des filles, toutes ces femmes qui ont perdu un proche. Shamsa voyait leur détresse sans pouvoir la ressentir. Elle se retranchait alors derrière ses papiers et posait des questions, à défaut de l’élan d’empathie qu’elle aurait pu ressentir à ce moment-là. Et elle quitte son pays et rencontre alors l’amour.
L. : Elle découvre d’abord un bateau…
M. M. : Elle se retrouve face à un bateau appelé Vent de sable et elle a une histoire très forte avec. De par la façon dont elle a été abandonné à sa naissance, cela la bouleverse. Elle fait ensuite la connaissance du propriétaire de Vent de sable : Léo, il s’avère qu’il connaît le désert mieux qu’elle. Naît alors une grande histoire d’amour. Lorsque Léo disparaît, elle n’y croit pas. Elle ne croit pas aux circonstances troubles de sa disparition. L’enquêtrice qu’elle est pense au Sahel, à la porosité des différentes mafias entre le Sahel et la Méditerranée.
L. : Il est question d’amour, mais La désirante est un habile mélange de littérature blanche et de littérature plus sombre car c’est aussi un roman policier…
M. M. : Oui, c’est aussi un thriller. Je n’avais pas envie de faire un essai ou un polar totalement noir. Et je pense que ce qui fait la force du livre, c’est de fractionner les chapitres. Un chapitre se concentre sur l’avancée de l’enquête, et au chapitre suivant Shamsa s’adresse à Léo à la deuxième personne comme s’il était présent. C’est sa façon de le faire exister. Elle ne se résout pas à sa perte et il fallait qu’il existe pour elle instant après instant.
L. : Peut-on parler de transfiguration de la perte ?
M. M. : C’est plutôt le refus, le déni de la perte. Elle apprend l’absence, elle apprend la douleur du manque, mais elle se refuse à envisager la mort de Léo. C’est ce qui motive son départ sur ses traces. Et ce qui la tient en haleine, c’est ce dialogue fictif, ces adresses à cet homme qu’elle cherche. Parce qu’elle est dans cette immensité, dans cette quête. À ce moment-là, elle se sent enfin capable de ressentir l’émergence des absences auxquelles elle n’aura jamais de réponse. Absence de ses parents, de son identité. Le plus douloureux de sa propre absence est transfiguré par l’éclat de la mer et son désir de retrouver son homme. C’est lorsque celui-ci disparaît qu’elle développe une conscience accrue de l’amour qu’elle lui porte. Elle va réaliser à quel point elle l’aime. C’était important qu’elle découvre l’absence de l’être aimé, cela va permettre l’expression d’autres manques. Elle sublime cet amour et cristallise autour les autres absences qu’elle à pu ressentir. Elle ne se résout pas à la disparition de cette passion amoureuse qui est entrée dans sa vie par effraction (…)
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Une Réponse pour cet article
BONNE CONTINUATION. L ALGERIE 2MERGERA PAR SA CULTURE? SES ARTS ET LETTRES ? ET NON PAS PAR LE VULUME DE SON PIB.
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