I’il est né le 27 septembre 1927 à Aïn Bessem, — joyeux anniversaire, poète algérien oublié et retrouvé!
Ayant réussi à retrouver sa trace à Médéa — du nom romain de la fabuleuse Labdia qui a donné Lemdiyya —, j’ai appelé M’Hamed Aoune au téléphone. Je me l’imagine tout entouré de l’affection de sa famille et prenant le temps d’une retraite bien méritée qui l’encou¬rage à lire et à écrire. M’Hamed Aoune est ancien mou¬djahid et ancien journaliste à El Djeich. Il est membre de la toute première Union des Écrivains Algériens créée le 28 octobre 1963 et dont Mammeri était président.
J’ai encore dans l’oreille sa voix bouleversée par l’émo¬tion, peu à peu devenant chaleureuse, pleine, vivante, c’est-à-dire comblée d’une humeur réjouie de ce qu’une autre voix la sollicite, lui parle d’amitié ancienne. Il ex¬prime sa nostalgie émue de ce qu’il a aimé, Aïn Bessem, sa ville natale qu’il a quittée encore enfant, après le décès de son père, et spécialement Sour El Ghouzlâne qui l’a accueilli jusqu’à son exil en France.
En ce jour anniversaire de ses 86 ans, M’Hamed est encore un «gamin» à l’esprit lumineux et intrépide face à la vie versatile et indomptable qui donne et retire ses bienfaits. Il a toujours écrit, m’a-t-il confié quelque part, autrefois, «Oui, écrire pour l’avenir !». Ce poète, d’une modestie charmante et déconcertante tout à la fois, écrit encore aujourd’hui de sa main décharnée mais tenace. Il surveille et relit sa vive pensée transcrite en mots flamboyants et houleux, toute vouée à l’histoire de l’Algérie qu’il a déchiffrée et à la vie algérienne qu’il a vécue et qu’il accompagne, l’une et l’autre, avec celle à laquelle il se mesure courageusement en ce moment comme un enfant qui naît chaque jour pour laisser aux enfants futurs les secrets de la destinée nationale algérienne. M’Hamed Aoune est un poète profond, un passionné de son pays et de son peuple, et davantage vivant au dernier tournant de la vie que tous les artistes, ayant son âge, s’imaginent en être les héros naturels.
Voilà un gamin de 86 ans, pour lequel l’écriture est toujours «magique» ; elle a occupé sa vie entière d’homme et ne cesse de le préoccuper. De son âme fière de son pays et de son peuple, il tire la sève de ses poèmes fulgurants. De fait, il est lui-même poème depuis sa plus tendre enfance, mais parce que trop sensible, trop modeste, trop discret, son existence est tombée dans l’oubli sinon dans l’ignorance.
Hélas ! la mémoire est courte, celle des hommes, des amis, des camarades, ceux qui lui avaient serré chaleureusement la main, celle des anciens qui l’avaient lu, qui l’avaient publié, comme un service rendu, ici et là avec quand même une incroyable économie dans quelque coin perdu d’une revue, d’un journal, d’une anthologie (souvent trop impartiale), et celle de ceux qui lui avaient fait tant de promesses rarement tenues ! Et peut-être suis-je moi-même de ceux-là, mais quelle oreille de responsable avais-je dans la presse, la radio ou la télévision pour aider, présenter, recommander un poète aussi intigable et prolixe, reconnu comme «un beau poème» par tout le monde, mais que seuls les initiés au charme de la poésie passionnée ont su lire et comprendre ? M’Hamed Aoune a pourtant côtoyé les plus grands de la littérature algérienne contemporaine, ce qui lui faisait présager un avenir radieux pour nos Belles-Lettres. Et puis, dans les premières années de l’indépendance, il y avait déjà tant de plumes brillantes, souveraines qui avaient pu faire éditer au moins une de leurs oeuvres : Flici, Toumi, Tidafi, Zérari, Farès, Djabali, Moknachi, Azzegagh, Guendouz… et tant de jeunes plumes exquises, frétillantes d’espérance devant la porte entrouverte d’une chance capricieuse et terriblement exclusive ! Et donc, à ce jour, aucune des oeuvres de M’Hamed Aoune, qui s’est donné à l’Algérie de la Révolution et à une poésie révolutionnaire, n’a eu les faveurs d’une maison d’édition algérienne. Et je dois dire qu’il n’est pas le seul.
�3e �� `� r choisi l’Algérie ; et le pouvoir algérien supportait mal ses positions très critiques à l’égard du système bureaucratique en place. Jean Sénac était un homme parfaitement indésirable, en somme, mais pas seulement pour le pouvoir. Il dérangeait beaucoup plus de monde. Il était un scandale permanent. Son audience auprès de la jeunesse, sa vie, sa vie sexuelle surtout, sa liberté de parole en matière politique ou culturelle, les répercussions à l’étranger de ses jugements sur l’Algérie en faisaient un personnage gênant pour beaucoup. Il y a donc plusieurs personnes ou groupes à qui le crime pouvait profiter. Cette mort, il l’a sentait rôder : pourquoi suivre cette trace –d’avance tout est conclu– quand vous laverez ma face –le soleil n’y sera plus.
Quarante ans plus tard, on s’aperçoit que cet homme, qui garda jusqu’à la fin l’Algérie au coeur, constitue une indispensable charnière dans les rapports franco-algériens, et pas seulement sur le plan culturel et intellectuel. Rarement une existence aura autant collé à la poésie et à un pays. C’est qu’à travers Jean Sénac, il ne s’agit pas seulement de «réhabiliter» un poète, jugé paria par les uns et martyr héroïque par les autres. Il ne s’agit pas seulement de débattre de son oeuvre poétique. Non, derrière Jean Sénac subsiste et demeure «l’Affaire coloniale» ; une crise de conscience vite refermée et mal digérée. Sénac et l’Algérie n’ont pas fini de nous hanter. Ce fut d’ailleurs le cas de Bernard Mazo qui, à l’instar d’autres jeunes Français, eut «vingt ans dans les Aurès» (où il restera vingt-sept mois), en pleine guerre et sous l’uniforme. Bernard Mazo avouait volontiers qu’il portait l’Algérie et les Algériens dans son coeur, comme une blessure jamais tout à fait refermée et cela depuis plus de cinquante ans. Bernard Mazo est décédé le 7 juillet 2012, à l’âge de soixante-treize ans, sans avoir vu paraître ce livre qui lui tenait à coeur. En écrivant cette biographie de Sénac, Bernard n’a pas seulement salué un poète dont il admirait l’oeuvre et l’engagement ; il a également fait la paix avec sa conscience. Il existe une littérature abondante sur Sénac. Mais hélas, de nombreux titres sont épuisés. Bernard a tout lu, tout compulsé : livres, articles, témoignages. Il a, après bien d’autres, rencontré les amis du poète et consulté ses archives à Alger et à Marseille. Durant six années, ce fut comme une quête d’absolu. Le résultat est à la hauteur. Le biographe est évidemment en empathie avec son sujet, mais sans déraper dans l’admiration aveugle ou l’hagiographie. Il n’hésite pas à évoquer les contradictions, les excès, les doutes et les angoisses du personnage comme du poète. En France, écrit Nacer-Khodja, si des cercles retiennent principalement l’approche érotique d’un poète, d’aucuns le fustigent pour son combat nationaliste qui le conduisit à rompre avec son «Père impossible» Albert Camus et ses «frères pieds-noirs». En Algérie, la part «maudite» de l’homme-poète est occultée et celui-ci réduit à sa portée politique univoque : un chantre indépendantiste en temps de guerre doublé d’un animateur culturel exceptionnel en temps de paix, et même bien avant 1954, période méconnue ici mise en valeur et élargie. Bernard Mazo, comme le dit encore Nacer-Khodja a su se défaire de cette ambivalence en ne réduisant pas l’unité de Sénac à une figure isolée que la fortune littéraire a reconnue à double titre de part et d’autre de la Méditerranée.
Max Leroy, pour sa part, écrit : «L’Algérie a fêté le cinquantenaire de son indépendance en 2012 et on célèbre cette année le centenaire de la naissance d’Albert Camus. Les cérémonies laissent toutefois dans l’ombre un des témoins incontournables de ce passé aux plaies ouvertes : son nom ? Jean Sénac. Écrivain et poète, pied-noir et indépendantiste, chrétien et révolutionnaire. Caillou dans les souliers de la France et de l’Algérie, Sénac bouscule les deux rives et les eaux troubles de la Méditerranée. Il serait temps, quarante ans après son assassinat, de tendre l’oreille.» C’est que, cinquante et un an après que l’Algérie soit devenue indépendante, les blessures ne sont pas encore refermées. Sénac est aussi là pour nous le rappeler. On n’oublie pas si facilement plus de cent soixante-dix années de colonisation, de drames, de passions et de désillusions. De 1973 à 2013, soit quarante ans après son assassinat, Jean Sénac demeure à lui seul une pierre angulaire des rapports franco-algériens. Visionnaire, n’avait-il pas écrit (cf. Lettre à un jeune Français d’Algérie in Esprit, mars 1956), deux ans après le déclenchement de la guerre d’indépendance : «Ton coeur souffre de l’injustice quand elle brise un visage français, mais s’ouvrira-t-il à la peine de tous les hommes? (..) Depuis plus d’un siècle l’Europe vit sur cette terre sans se soucier des neuf dixièmes de ses habitants. Il est juste que ceux-ci retrouvent enfin leurs droits… L’Algérie se fera avec nous ou sans nous, mais si elle devait se faire sans nous, je sens qu’il manquerait à la pâte qui lève une mesure de son levain… La réalité, c’est que ce pays est arabo-berbère et musulman et que nous sommes, avec les Israélites entre autres, une minorité qui, comme telle, risque d’avoir une place minoritaire. La réalité, c’est que sur cette terre indépendante, un million d’Européens devra abandonner ses privilèges pour participer, dans la proportion de un pour neuf, à l’édification d’un ordre égalitaire. (…)
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