Par Nora KASSE-MAÏDI
«Je me souviens comme si cela datait d’hier de mon entrée à l’école… » Ainsi commençait le premier texte de lecture – ou de dictée – de 5ème année primaire de la fin des années 1960, réplique attachante et attachée à la mémoire de nombreux écoliers de la première génération issue de l’indépendance, devenus les enseignants formateurs d’aujourd’hui. Mouloud Feraoun l’écrivain n’est plus à présenter. Paradoxalement, le pédagogue qu’il a été toute sa vie (instituteur, directeur d’école et inspecteur des centres sociaux) jusqu’à sa mort martyre (devant ces mêmes centres, à El Biar), n’a que peu suscité l’intérêt dans l’enseignement de la langue française en Algérie. Aussi, convient-il de réparer cette injustice en mettant en lumière l’apport « feraounien » à la pédagogie, ferment d’un destin. Nous ne pouvons évoquer cette interface de l’écrivain sans souligner l’influence de l’école normale de Bouzaréah sur sa formation et son idéologie forgées dans l’esprit de la IIIème République laïque et maçonne à laquelle il s’identifiait pour une large part, s’alliant à la doctrine de l’école de Jules Ferry prônant la démocratisation, la gratuité, l’obligation de l’enseignement, l’égalité des ethnies et la fraternité universelle, en somme tout ce qui, à l’origine, lui faisait défaut. Cette école fut pour lui « un véritable creuset », disait-il en rendant hommage à Roblès, celle qui avait fait tomber les barrières raciales entre Français et « Indigènes » et qui le plaçait au même rang que ses condisciples : Camus ou Roblès. Le caractère vertueux qu’il percevait chez ses maîtres de Tizi Hibel, comme chez celui de ses formateurs de Bouzaréah, a semé en lui cette idéologie égalitaire. « Je pense que l’école de Bouzaréah ainsi que l’exemple des anciens maîtres d’écoles rurales qu’il a connus, ont forgé en lui cette conviction que le métier d’enseignant est le plus beau métier du monde. » (Ali Feraoun).
Feraoun avait une très haute opinion du rôle que pouvait jouer un instituteur dans le développement social. Une grande partie de sa correspondance parue dans Lettres à ses amis atteste de son attachement au métier d’enseignant. On le voit longuement en débattre aves Roblès, Combelles et Groisard du choix des thèmes et textes retenus ou à retenir pour la conception d’une série d’ouvrages destinée aux élèves des cours élémentaires et des cours moyens d’Algérie : L’Ami Fidèle, un ouvrage pour lequel il s’était mobilisé avec art et ardeur.
« Je me souviens de lui à l’école de Taourirt Moussa où il avait une classe à deux divisions. Il utilisait déjà les méthodes actives d’animation de groupe dans les années 1945/50 » (Ali Feraoun). « La classe de Feraoun est vivante, méthodiquement entraînée, sous l’impulsion d’un maître à l’esprit fort distingué », pouvait-on lire sur l’un de ses rapports d’inspection 18,5/20 largement mérité et que peu d’enseignants pouvaient espérer.
Très imprégné par l’esprit des méthodes actives qui partaient de l’enfant et qui revenaient vers l’enfant à travers une démarche basée sur la redécouverte, la résolution de problème et la dynamique de groupe, Feraoun conçut, en étroite collaboration avec Louis Groisard et Henri Combelles L’Ami Fidèle, un manuel scolaire en quatre volumes, compagnon et guide de l’élève de l’enfance à l’adolescence.
Il n'ya pas de réponses pour le moment.
Laissez un commentaire