Par Abderrahmane DJELFAOUI
Ce sont là deux poèmes de Mouloud Feraoun publiés grâce à Emmanuel Roblès dans « Les
Lettres françaises », du 14 mars 1963, un an après sa mort. Les seuls poèmes connus de lui…
Poèmes si courts, étonnamment fluides et maîtrisés, nous venant d’un ailleurs d’ici, un antan de maintenant… Poèmes sauvegardant une élégante haleine d’émotion (quelle émotion? et à propos de qui donc ?…) dans leur rythme même. Poèmes à peine suggestifs sur la tension (dirons-nous : la tourmente ?), tant c’était encore le temps de la guerre en ce début des années 60 et qui n’en demeurent pas moins poèmes pudiques, secrets tout en gardant une élégance de poudre de neige en plein soleil… On se demande (et peut être se demandera-t-on longtemps) qui est cette Sibylle ? Et comment se fait-il que ce nom de la nuit des temps réssurgisse ainsi sous la plume d’un écrivain au sommet de la maîtrise littéraire dans une
Algérie qui allait vers son indépendance mais où, juste quelques mois avant, lui-même allait être tragiquement assassiné par l’oas? Sibylle dont on sait qu’en Grèce antique le nom servait à nommer les prêtresses …
« La Grèce en haillons »
Quoi qu’il en soit, ce voyage à l’Orient de la Méditerranée n’est pas imaginaire ; Mouloud Feraoun l’a effectivement réalisé en Sardaigne et en Grèce en mai- juin 1961 dans le cadre d’un groupe de travail de l’éducation scolaire dont on peut d’ailleurs lire prés de 12 pages de compte rendu savoureux et perspicace dans L’Anniversaire qui paraitra plus de dix ans après sa mort. Presque à chaque page, quand ce n’est pas d’un paragraphe à un autre, l’auteur y décrit ce qu’il voit en ne cessant de le comparer aux paysages d’Algérie. Ainsi, approchant l’aéroport d’Athènes à basse altitude : « les maisons du Pirée, ont la blancheur des
villes sans fumée (comme dans…) les contreforts désolés qui barrent certains horizons du Sud algérien ».
Et du long périple d’un miller de kilomètres par route où il franchit les montagnes du Pinde, la Thessalie avant de revenir sur Athènes en passant par Larissa, Lamia, Delphes, il écrit qu’il retrouvait ici : « ma Kabylie natale, ses villages accrochés aux sommets, ses rudes montagnards, ses ânes intrépides, ses chèvres capricieuses, ses oliviers et ses figuiers »… Tout comme la traversée à vive allure de « l’interminable plaine de Thessalie avec ses vastes étendues de blé, ses moissonneurs et moissoneuses affalés au bord de la route pour la pause de midi. Une plaine chaude, presque torride déjà, en tous points semblable à la vallée du Chelif »… Deux mois après ce voyage, il adresse d’Alger une lettre à son ami Emmanuel Roblès en voyage à son tour à Monemvassia dans le Péloponnèse, lui écrivant : « Je suis très content de constater que le bled grec te plait et te repose (…) Vive la Grèce, même sans ses antiquités !» La Grèce, qui en ces années 60 entamait une renaissance culturelle par la musique d’un Mikis Théodorakis et signait un accord d’association avec la CEE, était-elle donc une même réalité que l’Algérie des Poèmes de Si Mohand que Mouloud Feraoun venait de faire publier par son ami Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit? Sur une telle mise en parallèle Grèce-Algérie Feraoun s’explique en disant : « J’ai retrouvé tout cela, simplement parce que nous sommes riverains d’une même mer, tributaire d’un même climat et fixés sur la même rocaille » (…)
Suite de l’article dans la version papier
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