A 90 ans, l’écrivaine égyptienne connue pour son engagement, ses prises de positions tranchées, figure du féminisme, de l’émancipation des femmes dans le monde arabe, est morte dimanche 21 mars 2021, informe le journal d’Etat Al-Ahram.
Nawal El Saadawi née en 1931, près du Caire, est médecin psychiatre et écrivaine engagée. Combattante féministe, elle est emprisonnée en 1981 pour s’être opposée à la loi du parti unique. Libérée sous Moubarak elle fonde en 1982 l’Association arabe pour la solidarité des femmes, interdite en 1991. La militante commence alors à recevoir des menaces de la part de groupes fondamentalistes.
Auteure prolixe, Nawal El Saadawi a à son actif une cinquantaine d’ouvrages avec comme thèmes favoris : l’inégalité des droits de succession entre hommes et femmes en islam, l’avortement, l’excision – les femmes égyptiennes en sont concernées-, le port du voile, la polygamie, en somme l’oppression patriarcale à l’égard des femmes. Ce qui lui a valu une confrontation avec les conservateurs religieux.
L’intellectuelle égyptienne a connu la prison, l’exil et les menaces de mort, du fait que toute sa vie, elle n’a cessé de critiquer ouvertement un système éculé et ses dérivés : la sexualité, les abus sexuels sur les enfants, et les différentes formes d’oppression des femmes. En fait, l’oppression sexuelle et sociale est mise en relation avec la doctrine religieuse dans son court roman «Elle n’a pas sa place au paradis», publié en 1972.
Dans le monde arabe et bien au-delà, les écrits visionnaires de cette figure radicale du féminisme et intellectuelle, n’ont pas fini d’inspirer des générations avides de droit à la liberté et à l’égalité. In « Mémoires de la prison des femmes » (2002), elle ponctue : «Je continuerai à écrire. J’écrirai même s’ils m’enterrent, j’écrirai sur les murs s’ils me confisquent crayons et papiers ; j’écrirai par terre, sur le soleil et sur la lune… L’impossible ne fait pas partie de ma vie».
Ses propres combats sont parsemés et largement étalés dans ses ouvrages : «J’ai aimé la lecture : dans chaque livre, je découvrais quelque chose de neuf. J’ai connu les pharaons, j’ai connu les Persans, les Turcs, les Arabes. J’ai lu sur les crimes des rois et des gouvernants, sur les guerres, sur les révolutions des peuples, sur la vie des révolutionnaires. J’ai lu des romans d’amour et des poèmes érotiques. Toutefois, je préférais lire des textes sur les hommes au pouvoir, plutôt que sur l’amour. » (In «Ferdaous, une voix en enfer» -p. 53). Un roman tragique. Son héroïne est portée par la fatalité et la rébellion. Assia Djebar en préfacière ponctue «Ferdaous en langue arabe signifie « paradis », et c’est donc une femme prénommée Paradis qui, la veille d’être pendue pour avoir tué un homme, interpelle, d’une « voix en enfer », toutes les femmes d’une société où l’oppression sexuelle séculaire commence à peine à être dite de l’intérieur.»
Les voix des femmes libres dérangent l’ordre établi, d’ailleurs en 2007, l’institution théologique Al-Azhar, l’une des prestigieuses de l’islam sunnite, portait plainte contre elle pour atteinte à l’islam. En 2008, grâce à une forte mobilisation internationale, elle gagne le procès qui lui avait été intenté suite à une plainte de l’université Al-Azhar pour apostasie et non-respect des religions. Le 3 février 2011, elle apporte son soutien aux manifestants de la place Tahrir au Caire. Le 8 mars 2012, elle est à l’initiative, avec 7 autres femmes arabes, de L’Appel des femmes arabes pour la dignité et l’égalité.
A propos de «La face cachée d’Ève», l’auteure, aussi docteure, connaît parfaitement les femmes de l’Égypte, pour les avoir longuement écoutées ou guéries de sévices infligés par les hommes ou simplement par la tradition. Elle connait le monde arabe ; ses écrits et observations dépassent ses frontières : «Nous femmes des pays arabes, nous savons que nous subissons encore l’esclavage, mais nous savons aussi que celui-ci n’est pas lié au fait que nous sommes orientales ou arabes, ou que nous faisons partie des sociétés islamiques, mais au système patriarcal qui domine le monde depuis des millénaires. La seule façon de nous libérer, c’est de nous débarrasser de ce système. Les femmes n’accéderont jamais à la liberté si elles ne parviennent pas à s’organiser en un front politique assez puissant, conscient et dynamique.»
Nawal El Saadawi a été critiquée en 2013 pour avoir soutenu la destitution du président islamiste Mohamed Morsi par le général devenu président, Abdel Fattah Al-Sissi.
L’infatigable militante, Nawal El Saadawi, qui vient de s’éteindre, était et restera l’éveil pour l’émancipation des femmes contre l’oppression patriarcale et la domination du pouvoir. «Je ne pense pas qu’il y ait une démocratie dans quelque pays que ce soit. Je ne l’ai jamais rencontrée» in «Mémoires de la prison des femmes», (2002).
Nawal El Saadawi est l’auteure entre autres de «Mémoires d’une femme docteur», 1958 ; «La Femme et le Sexe», 1969 ; «Elle n’a pas sa place au paradis», 1972 ; «Femme au degré zéro», 1975 ; «La Face cachée d’Ève», 1977 ; «Le Voile», 1978 ; «La Chute de l’iman», 1987 ; «Moudhakkirât tifla ismouhâ Sou’âd, (Mémoires d’une enfant prénommée Souad), 1990 ; « Dieu démissionne de la rencontre au sommet», 1996 ; «Mémoires de la prison des femmes », 2002 ; «Ferdaous, une voix en enfer», 2007 ; «Isis», 2008 ; «C’est le sang», 2014.
L’injustice envers les femmes la hérissait. Ainsi toute une vie dédiée à éclairer des esprits abscons, des esprits intolérants, sombres, obscurs, au nom de l’émancipation et l’égalité. Féministe jusqu’au bout des ongles, Nawal El Saadawi restera cette ombre et Lumière empreinte de Liberté ; elle qui ne cessait de répéter : « Mais mon crime le plus grand est d’être une femme libre à une époque où l’on ne tolère que les esclaves. Je suis née avec un cerveau qui pense à une époque où l’on cherche à tuer la raison » ; le comprendre en langue arabe entonne et martèle davantage.
Rédaction
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