C’est notre admiration commune pour l’oeuvre de Jean Sénac qui nous a réunis tout d’abord pour l’édition de ses poésies complètes en 1999 chez Actes Sud. Mais, à vrai dire, j’ai découvert la postface de Hamid Nacer-Khodja lorsque le livre a paru. Et j’ai été impressionné par la remarquable quantité et la rigueur de son travail. J’avais, de mon côté, lu Jean Sénac grâce à mon ami Serge Tamagnot. Et parmi les livres du poète se trouvait une anthologie de la jeune poésie algérienne où figurait déjà un beau poème, fougueux et concentré, de Hamid Nacer-Khodja. D’un poète de dix-sept ans. Mais le temps avait passé. Jean Sénac avait été assassiné. Et Hamid avait employé de très nombreuses années à approfondir l’oeuvre de son aîné et à la maintenir en vie dans le pays qu’avait tant aimé Sénac, au point peut-être de lui sacrifier sa vie.
D’une certaine manière, Hamid aussi consacra son existence à Sénac, mais on ne peut pas dire qu’il la lui sacrifia, tant l’idée même de la poésie et le nom de Sénac se confondaient pour lui. Vivre n’avait de sens pour lui que dans cette fusion avec la littérature qu’avaient connu non seulement Sénac, mais Camus et René Char. C’était un héritier de Jean Amrouche, d’Edmond Charlot, mais aussi de tous les grands noms de la poésie algérienne. Sénac avait sans doute pour Hamid, quelque chose de plus que tous les autres. Il avait vécu et il était mort en poète. En participant à un débat à la librairie Kléber de Strasbourg en hommage à Sénac, j’ai eu une première approche de Hamid et je me suis rendu compte qu’il alliait à une immense modestie un savoir encyclopédique. Lorsque Bernard Mazo m’a envoyé, au Seuil où je suis éditeur, le manuscrit de sa biographie de Sénac, il m’a immédiatement proposé que Nacer-Khodja apporte toute son expérience à la relecture du texte. La mort soudaine de Mazo a donné à Hamid une responsabilité très grande quant à l’état définitif du texte. J’ai pu apprécier son engagement dans ce travail sans lequel cette biographie n’aurait jamais été à l’abri d’erreurs factuelles ou d’interprétations erronées de l’histoire de la guerre d’Algérie. Sa caution intellectuelle a donc été déterminante. A aucun moment, Hamid n’a évoqué ses propres recherches biographiques qui pouvaient pâtir de la préséance du livre de Bernard Mazo. A aucun moment, il n’a fait peser son amour-propre. Il préparait en effet une importante publication autour de l’oeuvre critique de Jean Sénac et un recueil d’hommages au poète, qui allaient paraître en Algérie. Il s’est mis avec humilité et dévouement au service d’un livre qui n’était pas le sien, mais auquel il offrait toutes ses connaissances. Cette attitude exceptionnelle dénotait non seulement un tempérament remarquable, mais aussi une certaine conception du devoir intellectuel: ce qui comptait pour lui était la figure de Jean Sénac et au fond peu importait qu’il y fût, lui, personnellement associé. Il n’associait pas la moindre vanité à son propre apport. En ce qui concernait la chronologie des événements personnels de la vie de Sénac et des faits politiques de la guerre et de l’indépendance, il était soucieux de s’en tenir à la plus grande précision objective. Et notamment à propos de l’assassinat de Sénac, il ne voulait aucune dérive interprétative, ni dans un sens (voulu par les amis de Sénac) ni dans un autre (le discours officiel au moment du procès de l’accusé). L’absence de preuves décisives interdisait une prise de position trop ferme et trop sectaire. Et dans les débats, auxquels j’ai participé avec lui, j’ai eu la confirmation de cette réserve de sa part et de son souci de ne pas sombrer dans une excessive hagiographie, dans une excessive martyrologie.
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