Le livre s’ouvre sur les pages nostalgiques d’une enfance heureuse et insouciante, quelques pages seulement, comme un bref prélude auxafflictions futures, avant que les rêves innocents ne sombrent ô combien précocement dans le chaos intérieur d’une âme désenchantée. Une femme, c’est le témoignage saisissant de Sibilla Aleramo (pseudonyme de Rina Faccio), un personnage d’exception. Née à la fin du XIXe siècle, après une enfance milanaise, sa famille s’établit au sud de l’Italie, ce qui ne manque pas de ravir la jeune fille avide de découvertes « qui sait quelles merveilles m’attendaient ailleurs ! ». Hélas, sur cette terre tant désirée, où « la mer était une grande surface argentée, le ciel un immense sourire », elle ne verra que ses rêves s’évanouir, avant même qu’ils ne soient aboutis. Après quelques joies et de tragiques évènements qui déchirèrent sa famille, elle se marie à seize ans à peine. La frêle demoiselle, qui courait hier encore en bord de mer, est désormais enfermée dans la maison de son mari, un homme maltraitant, abrupt et presque abusif dans l’intimité, auprès duquel elle ne sera jamais heureuse. Un grand bonheur toutefois elle connaîtra, puisqu’elle aura un enfant. Une naissance qui la fera revivre « lorsque, à la lumière incertaine d’une aube pluvieuse d’avril, j’ai posé pour la première fois mes lèvres sur la petite tête de mon fils, il m’a semblé que pour la première fois aussi, la vie avait quelque chose de divin, que la bonté entrait en moi, que je devenais un atome d’infini, un atome bienheureux, sans parole ni pensée, délié du passé et de l’avenir, abandonné à ce radieux mystère. Deux larmes se sont arrêtées au bord de mes yeux. Je serrais dans mes bras ma petite créature vivante, vivante, vivante ! »
Les pages les plus empreintes de tendresse, les mots les plus doux sont adressés au fils chéri, à l’espoir qui renaît, le livre même semble lui être adressé, mais la maternité ne peut combler à elle seule la vie d’une femme. Un jour, son mari se dispute avec son père (directeur de l’usine dans laquelle il travaille) et doit trouver un nouvel emploi. Sibilla, qui a commencé à écrire dans des journaux et des magazines, lui propose d’aller à Rome où elle pourrait travailler comme journaliste, tandis qu’il ouvrirait un petit commerce. Là-bas, elle s’épanouit dans son travail, rencontre des personnes avec lesquelles elle se lie de grande amitié. Ses lectures sont de plus en plus nombreuses. Sa vie de plus en plus riche. Elle s’éveille à elle-même et s’interroge sur sa condition de femme. Un soir au théâtre, la pièce d’un Puissant génie nordique1 la bouleverse, mais elle ignore à ce moment-là que cette pièce prédisait en quelque sorte ce qui allait lui arriver.
Sibilla est face à un terrible dilemme, en effet, pour espérer reconquérir sa dignité et sa liberté, il faudrait qu’elle renonce à voir son fils grandir, la loi l’exige «si je partais, il resterait orphelin puisqu’il me serait sans doute enlevé. Si je restais ? Un exemple de lâcheté pour toute sa vie». La femme se révolte contre cette culture du sacrifice dont doivent faire preuve les mères. Avec la plus grande peine, elle décide de briser cette chaîne absurde et partir, abandonnant le domicile conjugal à la reconquête de sa vie. Sibilla est, certes, une femme éprise de liberté, pourtant son écriture ne laisse échapper aucune haine, aucune rancœur contre celui qui l’enferma et la brutalisa pendant si longtemps, seule une amertume file entre les lignes. Une auteure féministe, mais une âme en paix donc que l’on prend plaisir à lire. Ce roman autobiographique paru en 1906 valut à son auteure un grand succès, il fut aussitôt traduit en français. Les plus grands noms de la scène littéraire européenne ont acclamé cette première œuvre dont Anatole France, Stephen Zweig. Aujourd’hui encore, cette œuvre est considérée comme le premier grand roman féministe italien. Plus tard, elle s’initie à la poésie et publie encore d’autres écrits : J’aime, donc je suis, Transfiguration, Le passage. De sa liaison avec le poète Dino Campana avec lequel elle entretenait une correspondance soutenue naquit Un voyage nommé amour2, le recueil d’un échange épistolaire passionné. Elle fut également la traductrice des œuvres de madame de La Fayette et George Sand. Elle s’est éteinte à Rome en 1960.
Atfa Memaï
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